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Ancre 23

Des outils qui se souviennent, 2021

(Outils rouillés pour le travaille de la terre, récoltés chez des agriculteurs, projection diapositives, projections vidéos, mapping jonchée de luzerne séchée)

Jeune diplômée de l’école supérieure d’art de Poitiers (EESI), Mathilde Couturier s’attache dans sa démarche artistique à creuser une mémoire rurale et agricole dont elle est issue.

Durant sa résidence à La Maison François Méchain, elle a poursuivi sa réflexion, présentée sous forme d’une installation qui mêle passé et présent, sorte telescopage temporel dont les objets seraient porteurs : chacun d’entre eux s’avère ainsi être porteur d’un temps qui dépasserait sa simple présence physique.

L’artiste fait dialoguer images et outils agricoles usagés: vidéos, diapositives, reproductions de documents sous forme de transparents donnant à voir le travail de la terre, tel le labour, sont projetées sur la surface altérée d’anciens fragments de machines (socs de charrue, versoirs, bêche…) où le grain de la rouille du support se conjugue à celui de l’image. Sur une pelle à grain en bois sont projetées des reproductions de pages de textes manuscrits, issus d’un registre ancien (1907/1943). Celui-ci rend compte des activités d’un syndic d’éleveurs face aux difficultés financières liées à l’élevage : perte de bétail à cause de la tuberculose ou d’un accident. À travers des écritures comptables où la beauté de la graphie le dispute au fond du projet solidaire, on touche une mémoire vive des gens de la terre où le collectif et le privé dialoguent.

L’installation conçue par Mathilde témoigne de choix plastiques pensés avec soin: la présence olfactive de la luzerne fraîchement coupée qui jonche le sol de l’espace de présentation nous plonge dans la réalité du champ cultivé et de la récolte. Ce que l’image passe d’ordinaire sous silence, à savoir les odeurs, participe ici à une approche globale de l’intention où les différents modes de projection se croisent et complètent le dispositif de restitution.

À travers sa poésie, en particulier dans Le parti pris des choses, Francis Ponge interrogeait déjà notre rapport aux objets les plus quotidiens ; en faisant ainsi l’éloge des plus simples d’entre eux, il nous invitait à développer un regard pensif sur leur présence muette et le sens dont ils sont néanmoins porteurs.

De l’objet à l’objet d’art : cette idée a été largement questionnée par l’art du XXème siècle qui a mis en œuvre la matérialité même des objets plutôt que leur représentation comme par exemple les Vanités ont pu la proposer bien avant en peinture. S’il s’agissait plutôt dans certaines œuvres de ces courants artistiques de les détourner (Nouveau Réalisme par exemple) Mathilde adopte ici un parti pris à la fois efficace et poétique : ranimer le vécu dont ces objets seraient porteurs par des images soigneusement choisies et mises en scène. Le passé et le présent (certaines images ont été tournées in situ pendant la résidence) témoignent sous une forme résolument artistique et non documentaire d’un métier, celui de l’agriculture. Ces temporalités sont alors transposées sur une forme apparemment inerte : l’outil dont on ne se sert plus mais dont les qualités physiques et plastiques seraient propres à nous faire plonger dans l’immatériel : mémoire vive et mémoire morte pour reprendre le champ lexical contemporain de l’informatique se conjuguent dans la présence de l’œuvre. Ce qui semble le plus ordinaire voire trivial (une bêche, une plaque de métal) ouvre ainsi sur le champ du rêve.

 

En d’autres temps, Lamartine, dans une forme poétique et une intention différentes avait déjà interrogé notre rapport au monde matériel quotidien: Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer? Si les formes d’expression, écrites ou artistiques, évoluent au gré du temps quand elles s’attaquent à une même question, (Tout art ne peut être que contemporain dit Paul Ardenne) une certaine nécessité commune de dire et de montrer sous-tend de façon souterraine toute création. Mathilde s’en saisit à sa manière et creuse un sillon qui l’habite : celui d’une culture rurale et agraire qui vit encore en elle et dont elle se sent d’une certaine façon dépositaire mais qu’elle a décidé de nous montrer à travers le regard que l’art porte sur les choses et les objets. Les outils choisis ici deviennent réceptacles d’images qui réactivent leur mémoire.

 

Si notre temps humain s’inscrit dans une finitude certaine, la plupart de nos objets nous survivront…

 

Nicole Vitré-Méchain pour Mathilde Couturier Octobre 2021

 

 

Un grand merci aux agriculteurs qui ont accepté de fournir des outils pour ce travail (Bernadette et Claude Quintard, Lise et Guy Bénétreau) et en particulier à José pour sa coopération bienveillante et attentive avec Mathilde tout au long de son projet.

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